Marie-Françoise Heim

Chère Bonne-Maman, Ma chère Bonne-Maman, En réfléchissant aux mots que je souhaitais dire, en dépit de la tristesse d’avoir perdu ce roc, cette source d’amour, de cohésion, cette pièce essentielle de ma famille, de notre famille, je dois faire une confidence, je n’ai pas eu envie de m’apitoyer. De m’apitoyer, d’être larmoyant, non, ça n’aurait certainement pas été conforme à notre Bonne-Maman. En me penchant sur ces mots et sur ces souvenirs, il m’est plutôt arrivé de sourire. Et de ressentir, en moi, cette énergie qui la caractérisait tellement. En pensant à cette grand-mère si géniale. Capable de ce fameux « ça va, ça va ». Et d’ajouter, sans hésitation, « oh, j’ai mal aux côtes, à la jambe, aux pieds et je n’ai plus d’appétit ; mais ça va, ça va ». Et de conclure, avec ce terrible : « oh, j’ai connu pire ! ». Car Bonne-Maman savait nous surprendre. Infatigable joueuse de solitaire, elle témoignait pourtant d’un indéfectible et profond sens de la solidarité, du dévouement, du collectif, de la famille. Jamais elle n’a manqué l’un de nos anniversaires, chaque événement de nos vies, toujours une occasion de prendre des nouvelles. Elle était douée d’un calme à tout épreuve, dont perçaient pourtant des silences bavards, au coin de son salon, où son œil pétillant et son petit sourire en coin étaient le signe d’une énergie intérieure débordante et d’une envie intarissable d’en savoir plus sur chacun d’entre nous – travail, amis, sports, amours si possible. Bonne-Maman avait connu radio Londres, elle nous apporta radio Bonne-Maman, maîtrisant messenger, whatsapp et autres Instagram, pour toujours rester au plus près de nous. Pour cela, Bonne-Maman a toujours été pour moi une source de fierté et d’humilité. Une source de fierté d’abord, en imaginant la force de ce petit mètre 65 breton, ayant connu la guerre, la libération, les Trente glorieuses, le confinement, le minitel, l’iPad, la vie de garnison, 17 déménagements, la douceur des vacances à Pornichet, 6 enfants, 13 petits enfants, 4 arrière-petits-enfants, une maison à tenir, à faire vivre, toujours prête à accueillir. Un roman à taille humaine, qui nous faisait découvrir jusqu’à encore très récemment, l’air de rien, des anecdotes inédites sur sa jeunesse, sur sa vie, sur ses amis. Une source d’humilité ensuite, lorsqu’on mesure ses qualités humaines, intellectuelles, le don de soi qu’elle avait, son engagement, son dévouement pour nous, enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, conjointes et conjoints, amis de passage à Pornichet qu’elle accueillait avec un sens spontané de l’hospitalité. Je sais ce que je lui dois, ce que nous lui devons. Je mesure la chance, Bonne-Maman, que j’ai eu de t’avoir comme grand-mère. Tu étais le roc de notre famille. Tu étais – et tu es – l’âme de notre famille. Bonne-Maman, tu nous as toujours enseigné la nécessité de nous aimer, d’être soudés, de nous soutenir, de tenir les uns aux autres. Alors voilà, gardons cet enseignement en tête, gardons l’âme de cette famille intacte, et Bonne-Maman, tu seras et resteras toujours avec nous. Et j’aime à penser que là où tu es, tu nous regardes, assise dans ton fauteuil, avec tes yeux pétillants et ton petit sourire en coin, et que même maintenant, dans ces circonstances, tu oserais encore nous dire : « j’ai connu pire ! ». Alors merci Bonne-Maman.